La Dernière Danse

Titre : La Dernière Danse.
Auteur : Fabien Ménard.

Avec un soupir, l’homme s’assit en tailleur sur le grand rocher plat, d’où il pouvait surveiller toute la vallée en contrebas. Une route serpentait entre les collines pour ensuite aller se perdre dans le désert sauvage. L’homme posa sa lance et la planta fermement dans le sol à côté de lui puis, serrant son long manteau autour de lui, il se prépara à une longue nuit de garde. Le soleil commençait à descendre derrière les collines, et la vallée se teinta de rouge sombre au fur et à mesure que les derniers rayons faiblissaient et s’estompaient. La Sentinelle remis un peu de bois dans le feu devant lui, qu’il venait d’utiliser pour faire cuire son maigre repas du soir. Les flammes reprirent vie et s’élevèrent un instant dans l’air, repoussant brièvement les ombres autour de l’homme assis sur le rocher.

Soudain, une lumière hésitante apparut à l’entrée de la vallée. La Sentinelle ne bougea pas, mais son regard repris en un instant toute sa vivacité. La note claire et douce d’un cor résonna longuement dans l’air, et l’homme ferma les yeux, comme charmé par ce son cristallin et pur. Son regard se porta sur les étendards illuminés par les torches qui éclairaient la route de la caravane. Il pouvait distinguer l’emblème, un cygne blanc sur fond bleu, le symbole d’un lointain royaume que l’on ne voyait que rarement dans cette région. Soudain des torches s’allumèrent sur un large chariot au milieu de la caravane, révélant une plate-forme vide large de plusieurs mètres. La Sentinelle fronça les sourcils, intriguée. Une frêle silhouette se hissa sur la plate-forme, et se positionna au centre de l’espace vide. L’inconnue, malgré l’instabilité du chariot, se tenait droite et fière, comme attendant quelque chose. Une douce musique s’éleva du chariot suivant celui où se trouvait la jeune fille. Une triste mélodie qui résonnait doucement dans l’air, et pourtant, de là où il se trouvait l’homme assis sur son rocher l’entendait parfaitement. La fragile silhouette sur la plate-forme tendit lentement les bras et esquissa un pas, puis se mit à danser. Ses longs cheveux d’ébène flottaient dans le vent, tandis qu’elle tournoyait gracieusement au son de la musique. En haut de la colline, la Sentinelle ne pouvait détacher ses yeux de cette danse envoûtante. Dans la caravane, les yeux des voyageurs se tournèrent vers la jeune fille qui continuait de danser. Soudain l’homme releva la tête brusquement. En haut de la colline d’en face, des ombres se découpaient dans le soleil couchant. Il les reconnu instantanément et saisi son cor pour lancer un avertissement qui résonna dans toute la vallée. Les gardes de la caravane les virent aussi, et bientôt une grande agitation régna dans le convoi. Les chariots accélèrent la cadence pour sortir de la vallée au plus vite, tandis que les gardes se regroupaient et sortaient leurs armes de leurs fourreaux. Les ombres prirent la formes de cavaliers vêtus de cuir, l’air féroce et impitoyable, qui s’alignèrent au somment de la pente sans un bruit. En bas, les boucliers ornés du cygne blanc formèrent un mur de bois et d’acier d’où émergeaient les pointes acérées des lances. La Sentinelle jeta un coup d’œil sur le convoi et écarquilla les yeux. Sur son chariot, la jeune inconnue continuait de danser, imperturbable, au son de la triste mélodie qui l’accompagnait.

Avec un hurlement qui se répercuta dans toute la vallée, les pillards se jetèrent en avant, leurs montures écumantes lancées au grand galop tandis qu’ils dévalaient la colline, poussés par une fureur sans limite. Plusieurs furent désarçonnés en arrivant au contact avec le mur de lances et de boucliers, mais nul ne pouvait espérer résister bien longtemps à tant de haine, et bientôt les cavaliers fauchèrent les gardes les uns après les autres, encerclant et réduisant au silence les défenseurs de la caravane. Puis ils se lancèrent à la poursuite des chariots, stoppant les attelages et massacrant sans pitié les voyageurs infortunés qui s’y trouvaient. Trois pillards atteignirent le chariot où la danseuse se trouvait, et l’un d’entre eux s’accrocha pour monter à bord. Il s’arrêta net au milieu de la manœuvre, regarda d’un œil stupéfait la lame d’acier qui dépassait de son torse, et bascula en arrière en hurlant. La jeune femme s’arrêta de danser, surprise, et regarda la Sentinelle retirer sa lance du cadavre et se retourner pour faire face aux autres pillards. Le premier cavalier lança sa monture contre l’homme, et reçu de plein fouet la lame de la lance dans l’abdomen. Il s’effondra sur sa selle et s’éloigna, entraîné par sa monture hors de contrôle. Les autres pillards mirent pieds à terre et entourèrent l’homme qui venait de tuer deux de leurs camarades. La Sentinelle jeta un coup d’œil sur les chariots qui s’éloignaient. L’inconnue avait les yeux fixés sur lui. L’homme sourit, et d’un geste vif se jeta contre ses adversaires qui reculèrent, surpris. Sa lance perfora la poitrine du pillard qui lui faisait face, puis il lâcha son arme et esquiva la riposte de ses adversaires tout en dégainant son épée. Une lame transperça sa longue cape, et la Sentinelle l’arracha pour la jeter sur son adversaire qui recula en découvrant le blason qui jusqu’à présent était dissimulé dessous. Un loup noir montrant les crocs ornait l’épaulière de la Sentinelle, et les pillards eurent une seconde d’hésitation en reconnaissant l’emblème. Le sourire de l’homme s’effaça, et la lame de son épée heurta bruyamment celle de l’un des bandits, qui para l’attaque de justesse. La Sentinelle ressentit soudain une douleur dans son dos, et il tomba à genoux dans la poussière, haletant, tout les muscles tendus en attente du coup de grâce. La douleur se fit plus forte et il s’effondra par terre, inconscient.

La Sentinelle ouvrit les yeux, et contempla le visage de la jeune fille qu’il avait vu danser. Elle était penchée sur lui, un air triste sur le visage. Autour d’eux, des hommes se battaient et achevaient les derniers pillards qui résistaient encore. Les nouveaux venus avaient tous un loup noir dessiné sur l’épaule.

Pourquoi ? » Demanda-t-elle simplement.

L’homme tendis la main et sécha la larme qui roulait sur la joue de la jeune femme. Avant que l’obscurité ne s’abatte sur lui, il parvint à sourire une dernière fois.

Je voulais juste que vous puissiez danser à nouveau… »